“Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre ; ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre”. (Matth., VI, 24).
A l’exemple de certains Pères de l’Eglise, il est permis de voir, dans le Mammon, dans le faux dieu dont parle Notre-Seigneur, non seulement l’argent, mais aussi d’autres attaches terrestres, matérielles, qui entravent le progrès spirituel.
Je voudrais vous parler de la tiédeur, maladie de l’âme très fréquente, – elle atteint la moitié ou les trois quarts des chrétiens vivants en état de grâce… -, et vraiment terrible s’il faut en croire ce mot de l’Ecriture : ”Dieu vomit les tièdes par Sa bouche”, c’est-à-dire qu’Il les rejette loin de Lui, et par conséquent, ces âmes sont en très grand danger de tomber dans l’enfer éternel si elles ne changent pas de vie.
Or, la tiédeur, qui peut affecter aussi bien les clercs, – c’est-à-dire les prêtres et les évêques -, que les laïcs, se rencontre dans trois classes de personnes :
1°) D’abord celles qui étaient sorties d’une vie mauvaise, en état de péché mortel, pour parvenir à une vie normale, en état de grâce. Mais là, contentes d’elles- mêmes, elles arrêtent leurs efforts et ne veulent pas monter plus haut…
2°) Il y a celles qui, après être arrivées à une vie fervente, souvent très jeunes,descendent à une vie tiède, médiocre. Dieu veuille qu’elles ne descendent pas plus bas ! C’est le cas de très nombreux religieux, s’il faut en croire l’auteur de l’Imitation, et l’expérience courante !
3°) Il y a enfin le cas des chrétiens doués d’un heureux naturel ; ils n’ont jamais cherché à devenir meilleurs. Il faut alors secouer leur indolence, – leur torpeur : ils dorment ! - ; et souvent, ils n’ont besoin que d’une chose : un bon directeur de conscience, qui leur enseignera les chemins de la vie plus parfaite.
Mais en quoi consiste donc cette terrible maladie spirituelle, si ignorée de tant de chrétiens, et pourtant si répandue ? Quels en sont les symptômes, chez les “bons” chrétiens ? On peut en distinguer deux, au moins :
1°) Des confessions et des communions routinières ; et parfois, de plus en plus espacées. Des prières rapides et superficielles, sans effort pour se mettre en présence de Dieu, pour entrer en contact avec Lui. Pas d’oraison chaque jour, ni de vrais examens de conscience.
2°) Au sujet du péché véniel, le chrétien tiède cherche encore à les éviter, au moins un peu, mais il garde ses “péchés mignons” ; sa soumission à Dieu n’est pas totale : celui qui est mondain reste mondain ; l’amateur de bons vins et de bonne chair reste tel ; le médisant, le bavard, continue ses fautes contre la charité, tranquillement…
En résumé, le tiède vit encore de la vie de la grâce, mais d’une manière languide, paresseuse ; il se laisse emporter par les émotions du moment, que ce soit la piété, la colère ou toute autre passion. Il se laisse trop vivre… Il est trop content de lui…
Quelles sont les causes de cette maladie de la tiédeur ainsi décrite ? Il est bon de distinguer deux étapes de la vie : la jeunesse et l’âge mûr, bien que, au fond, les causes profondes soient les mêmes à tout âge.
1°) Dans la jeunesse, il faut accuser surtout la dissipation et l’imagination, l’éparpillement. La dissipation est chose naturelle, je dirais presque normale, chez les jeunes, surtout à notre époque. Ils veulent tout voir, tout entendre, tout connaître. D’où le succès de l’audiovisuel qui favorise cette tendance naturelle. Celle-ci rend plus difficile le recueillement, la prière sérieuse, nécessaires pour progresser dans la vie spirituelle. D’où la sagesse de l’Eglise en instituant des petits séminaires, pour permettre le développement meilleur, plus rapide et plus sûr, de l’âme des enfants.
L’imagination est une seconde cause de tiédeur : que de fois l’émotivité illusionne, et trompe même parfois les directeurs de conscience. L’imagination peut faire croire qu’une prière est profonde, alors qu’elle est distraite, par exemple. D’autres fois, les jeunes se forgent des illusions sur leur avenir, leurs futurs triomphes. N’étant pas suffisamment formés pour se soustraire au milieu ambiant et le dominer, beaucoup de jeunes se laissent séduire par lui, comme une feuille que le vent emporte : d’où le succès des modes, vestimentaires, musicales ou autres. De là, la tiédeur religieuse, en admettant même qu’ils restent chrétiens pieux. Car la vie d’un disciple du Christ fervent exige des efforts, du recueillement, un certain éloignement du monde : c’est ce que beaucoup de membres de l’Action Catholique n’ont pas compris ; et alors, au lieu de convertir les autres, ils se sont peu à peu convertis au monde, si on peut dire ; un bon nombre même sont devenus marxistes. Ce sont des chrétiens caméléons.
2°) Dans l’âge mûr, il faut signaler comme causes de la tiédeur, tout spécialement :l’ambition et une vie trop occupée. L’ambition, d’abord, est souvent élevée au rang de vertu par la propagande commerciale, et même par les moyens de communication. A notre époque, il semble inadmissible qu’un homme accepte son état de vie : il lui faut s’élever dans la hiérarchie sociale ; et pour cela, gagner davantage. Et ici, nous retrouvons directement la défense du Christ : ”Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon”. Et ceci, d’autant plus que cette ambition excessive et matérialiste entraîne une vie trop occupée : que de fois, j’ai observé en Argentine des personnes qui menaient de front deux situations par exemple, un commerce, ou une représentation ; et un emploi dans les chemins de fer ou un poste d’enseignement…
Ces Argentins très nombreux n’avaient plus qu’une ambition : gagner davantage, réussir, avoir une auto, que sais-je ? Les préoccupations spirituelles n’avaient plus de place sérieuse dans leur vie, – droite et honnête peut-être -, mais trop engluée dans le terrestre. Nous pourrions continuer longtemps l’étude des causes de la tiédeur, chez le chrétien encore pieux : l’orgueil, le manque de charité vraie, autrement dit l’égoïsme, etc…, tout cela entraîne la tiédeur. Les remèdes à celle-ci sont faciles à exposer, un peu moins faciles à vivre, certes, car ”le Royaume de Dieu souffre violence et ce sont les violents qui l’emportent”.
Il faut d’abord organiser sa vie de piété ; adopter une norme de vie, des habitudes assez strictes, sinon cette vie dépendra du caprice du moment.
Par exemple, la prière à genoux, matin et soir, de durée suffisante, faite avec respect, sérieux, dévotion. Dire qu’il y a encore des chrétiens, qui se croient de bons chrétiens, et qui ne prient pas régulièrement matin et soir ! C’est pourtant le minimum… Ils sont sûrement tièdes… Dans la vie de piété d’un chrétien fervent doit figurer l’examen de conscience, chaque soir ; le chapelet, chaque jour ; et, si possible, un quart d’heure ou une demi-heure de méditation ou d’oraison ; ou alors, la lecture quotidienne de quelques passages du Nouveau Testament ou d’un livre de lecture spirituelle.
Il faut ensuite s’alimenter par la sainte Messe, la sainte Communion, et le sacrement de Pénitence, reçu en moyenne une fois par mois, et, là encore, il y aurait beaucoup à dire sur la tiédeur inconsciente de beaucoup de chrétiens traditionalistes, qui se contentent de deux ou trois confessions par an.
Quant à la sainte messe, il faut s’y préparer, ce qui exige d’arriver avant son début. Il m’a semblé que, sur ce point, les catholiques anglais que j’ai vus sont plus fervents que nous : je n’en ai pas vu arriver en retard… alors que, chez beaucoup de Français, c’est une habitude, preuve certaine de tiédeur…
Enfin, le remède décisif est généralement une bonne retraite, une retraite de cinq jours… On raconte le fait suivant dans la vie de saint Bernard : une nuit, il était au choeur, récitant l’Office divin avec ses moines , et il vit soudain au côté de chacun de ceux-ci un ange qui écrivait sur un registre. Certains anges écrivaient avec des lettres d’or ; d’autres, des lettres d’argent, d’autres avec de l’encre, tout simplement. D’autres enfin n’écrivaient rien. Dieu, par cette vision, voulait ainsi faire comprendre à saint Bernard la différence de ferveur parmi les différents moines : très fervents ou moins fervents ; ou ceux qui prononçaient seulement les paroles, mais sans dévotion ; quant à la dernière classe, c’était celle des paresseux qui ne priaient pas : ils étaient présents de corps, mais leur esprit était ailleurs.
La leçon est claire pour nous tous. Comment prions-nous ? Comment nous approchons-nous des Sacrements ? Comment assistons-nous au très Saint-Sacrifice de la messe ? Si celui-ci a été si profondément transformé et raccourci, – au point de ne plus être appelé un Sacrifice, mais une Eucharistie, un repas, comme le voulait Luther -, n’est-ce pas à cause de notre tiédeur passée, de la tiédeur de tant de millions de chrétiens ? N’avons-nous pas imité cette dame qui se plaignait un jour à Monseigneur de la Motte, évêque d’Amiens, de la durée excessive de la messe paroissiale. Le prélat lui répondit : ”Madame, si vous trouvez la messe excessivement longue, c’est peut-être que votre piété est excessivement courte.“
Qu’il n’en soit pas de même pour nous, si nous voulons grandir dans la vie spirituelle, grandir dans l’amour de Dieu qui peut, seul, contenter pleinement notre âme, en ce monde et dans l’autre.