Nous avons renoncé au monde, nous sommes sur la terre comme des étrangers et des voyageurs
Le monde hait le chrétien : pourquoi donc aimez-vous votre ennemi ?
Pourquoi ne suivez-vous pas plutôt le Christ qui vous a racheté et qui vous aime ?
Saint Jean, dans son épître, nous exhorte à ne pas suivre les désirs de la chair :
« N’aimez pas le monde, dit-il, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la charité du Père n’est plus en lui; car tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle. Tout cela ne vient pas du Père, mais du monde.
Or, le monde passera avec sa concupiscence. Mais celui qui fait la volonté de Dieu, vivra éternellement comme Dieu lui-même » (I Jean 2).
Donc, mes frères bien-aimés, ranimons notre foi, fortifions notre âme, préparons-nous à accomplir la volonté divine et, bannissant toute crainte de la mort, songeons à l’immortalité qui doit la suivre.
Que notre conduite s'accorde avec notre croyance : ne pleurons plus la perte de ceux qui nous sont chers et, quand l'heure du départ sonnera pour nous, allons, sans hésitation et sans retard auprès du Dieu qui nous appelle.
Telle doit être dans tous les temps la conduite des serviteurs de Dieu, mais surtout à notre époque.
Nous voyons, en effet, crouler le monde sous les fléaux qui l'envahissent de toutes parts. Le présent est bien triste ; l'avenir sera plus triste encore ; c’est donc un avantage pour nous de quitter promptement cette vie.
Si vous voyiez les murailles de votre maison chanceler, le toit s'effondrer, l'édifice tout entier (car les édifices périssent aussi de vieillesse), vous menacer d'une ruine prochaine, ne vous hâteriez-vous pas de fuir ?
Si vous étiez assailli en mer par une violente tempête, si les flots soulevés vous menaçaient d'un naufrage prochain, ne vous hâteriez-vous pas de gagner le port ?
Mais, regardez donc, le monde chancelle, il tombe ; ce n'est plus la vieillesse, c'est la fin des choses : tout annonce une chute imminente ; et, lorsque Dieu, par un appel prématuré, vous arrache à tant de ruines, de naufrages, de fléaux de tout genre, vous ne l'en remerciez pas, vous ne vous en félicitez pas !
Considérons donc, frères bien-aimés, que nous avons renoncé au monde, et que nous sommes sur la terre comme des étrangers et des voyageurs. Saluons le jour qui assigne à chacun son domicile véritable, le jour qui nous délivre des liens de cette vie pour nous rendre au Paradis et au royaume céleste. Qui donc, vivant sur la terre étrangère, ne se hâterait de revenir vers sa patrie ? Quel homme, traversant les mers pour rejoindre sa famille, ne désirerait un vent favorable pour embrasser plus tôt ces êtres si chers ?
Notre patrie, c'est le Ciel !
Là se trouvent nos ancêtres, c'est-à-dire, les patriarches ; pourquoi ne pas nous hâter de jouir de leur vue ?
Là nous attendent ceux qui nous sont chers : nos pères, nos frères, nos fils, l'assemblée entière des bienheureux, assurée de son immortalité, mais inquiète de notre salut.
Quel bonheur pour eux et pour nous de se rencontrer, de se réunir de nouveau ! Quelle volupté d’habiter le royaume céleste sans craindre de mourir et avec la certitude de vivre éternellement ! Peut-il exister une félicité plus complète ?
Là, se trouve l’assemblée glorieuse des apôtres, le choeur des prophètes, le peuple innombrable des martyrs victorieux dans les combats et dans la souffrance. Là sont les vierges triomphantes qui ont soumis aux lois de la chasteté le concupiscence de la chair.
Là sont les miséricordieux qui ont distribué aux pauvres d’abondantes aumônes et qui, selon le précepte du Seigneur, ont transporté leur patrimoine terrestre dans les trésors du Ciel. Hâtons-nous, mes frères, de nous joindre à cette auguste assemblée ; souhaitons d’être bientôt avec eux en présence du Christ.
Que cette pensée soit connue de Dieu ; que le Christ, notre maître, la trouve gravée dans nos coeurs. Plus nos désirs seront ardents, et plus la récompense qu’il nous destine sera abondante.
Saint Cyprien de Carthage, Père de l’Eglise